Alger,dans le noir!

Publié: novembre 13, 2011 dans Uncategorized

Par Mehdi Mehenni

Il s’agit d’une arme blanche qui s’est fortement

incrustée dans les mœurs de la jeunesse algéroise. Emeutes,

affrontements entre jeunes issus de quartiers populaires, bagarres

générales… Le sabre est arboré à la moindre occasion. Mais il sert

surtout à marquer les territoires des bandes rivales de l’Algérois,

et à trancher dans les milieux de trafic de drogue. Le monopole. Des

jeunes âgés entre 17 et 21 ans le façonnent eux-mêmes et le proposent

à 1 000 DA. Sa prolifération est d’autant plus inquiétante que la

division centre de la police judiciaire de la wilaya d’Alger a dû

mobiliser, le jour, sur le terrain, une brigade de lutte contre la

violence urbaine, en civil, et la nuit, une brigade d’intervention

rapide et de répression du banditisme.

Témoignages accablants, arrestations spectaculaires et périlleuses,
terreur quasi quotidienne… Voici ce que cache Alger ! Début septembre
2011. Les éléments de la brigade criminelle de la division centre de
la police judiciaire d’Alger font leur patrouille nocturne
routinière. Ils sont de passage dans une ruelle du quartier
Mohamed-Belouizdad (ex-Belcourt). Un bruit étrange émane de la cage
d’escalier d’un immeuble. Ils s’arrêtent un peu plus loin et s’y
glissent discrètement. Le surnommé Cheese, l’un des délinquants les
plus dangereux de Belcourt, ajuste des plaquettes de fer pour
façonner deux sabres, à l’aide d’une limeuse électrique. Le premier
étant achevé, il ne lui reste plus qu’à tailler le second pour qu’il
soit bien tranchant. Les policiers le chopent en flagrant délit.
Cheese, le chef d’une bande de cinq personnes, s’apprêtait à les
vendre, 1 000 DA chacun, à deux commerçants de Laâqiba, un des bazars
informels les plus fréquentés de la capitale. Il fait depuis quelque
temps de la fabrication de sabres son commerce et les façonnent à
l’intérieur de la cage d’escalier de l’immeuble où il habite. Aucun
voisin de l’entourage n’a eu jusque-là l’audace d’interrompre son
œuvre prohibée ou du moins le dénoncer. Pourtant, le bruit qu’il
propage est assourdissant. Mais c’est que Cheese, un jeune très
menaçant, âgé d’à peine 21 ans, fait peur et surtout porte souvent
sur lui un sabre. Il n’hésite d’ailleurs pas à en faire usage. Il a
plusieurs démonstrations à son palmarès, la dernière remonte à peine
à quelques jours avant son arrestation. Lui et sa bande ont affronté
la bande dite Loufa, composée de trois jeunes délinquants de la cité
Mahieddine (Chaâba). L’affrontement a eu lieu en plein Belcourt,
sabres et barres de fer à la main. Un fourgon de police qui était de
passage ce jour-là a tenté vainement d’intervenir. Mais c’était
périlleux de le faire sans renfort. Les deux bandes rivales qui se
disputaient le territoire de Necira-Nounou et Harcha, pour la vente
de drogue, se sont subitement retournées contre la police. Ils ont
carrément saccagé le fourgon. Histoire de faire passer le message :
«Pas d’ingérence dans nos affaires.» La police était, depuis, à leurs
trousses et l’arrestation de Cheese a permis de les faire tous
tomber. Plusieurs sabres et une petite quantité de drogue ont été
récupérés. Ils ont été neutralisés un par un lorsqu’ils
s’aventuraient à dépasser de quelques mètres les limites de leur
quartier, étant donné qu’il est difficile de les arrêter devant chez
eux, explique le chef de la division centre de la police judiciaire
de la wilaya Alger, Tarek Keskas. «Dès que nos éléments procèdent à
une arrestation, dans ce genre de quartier, c’est tout le monde qui
se met contre eux. Des jeunes s’attaquent à eux en lançant des
pierres, d’autres, parfois des femmes, larguent de leurs balcons des
bouteilles en verre et autres objets. C’est pour cela que chaque
opération que nous menons est étudiée et préparée à l’avance, parfois
à la faveur d’un renseignement, alors que dans d’autres moments ça
nécessite toute une stratégie, car ils sont très dangereux», ajoute
le commissaire principal Tarek Keskas. L’exemple le plus significatif
est peut-être celui de l’arrestation du surnommé Jambaz, un jeune
délinquant hyper dangereux, âgé de 18 ans, et qui a à son actif 23
agressions à l’arme blanche. Il est issu du quartier Marché T’nach,
rue Fayçal M’barek, à Belcourt, et manier le sabre est pour lui un
jeu d’enfant. Il n’appartient à aucune bande et préfère agir en solo.
Vers la fin du mois de Ramadan de l’année en cours, les éléments de
la brigade de lutte contre la criminalité et la violence urbaine
passent à l’action. Après plusieurs jours de préparation, les
policiers en civil l’arrêtent à l’entrée de l’immeuble de son
domicile à l’heure du f’tour (moment de rompre le jeûne). Subitement,
une armada de jeunes gens du quartier sort de partout. Sabres et
barres de fer à la main, ils se lancent à l’assaut des policiers. Un
des éléments de ladite brigade soulève le jeune recherché et commence
à courir vers le véhicule de police. Jambaz ne se laisse pas faire et
le mord à l’épaule. Le policier en question reçoit un coup de barre
de fer au-dessus de l’œil par un des jeunes voisins de Jambaz, mais
il ne le lâche pas pour autant. Il réussit ainsi à le transporter
jusqu’au véhicule avant de quitter illico les lieux. Ils ont failli y
laisser leur vie. Il s’agit, en effet, d’une brigade créée il y a une
année et qui a été mise à la disposition de la division centre de la
police judiciaire d’Alger. Ils sont environ 60 éléments qui
sillonnent à pied et en civil, le jour, les grands boulevards des
quatre circonscriptions administratives de Sidi M’hamed, Hussein Dey,
Bir Mourad Rais et Bab- El-Oued. Sur les 455 personnes arrêtées et
déférées devant la justice par la division centre de la police
judiciaire d’Alger, depuis le début de l’année en cours, 206 l’ont
été par les éléments de cette nouvelle brigade. La plupart arrêtées
pour port ou agression à l’arme blanche. D’ailleurs, plus de 500
armes blanches prohibées ont été récupérées à la faveur de ces
opérations. «Ils sont déployés, en civil, sur le terrain pour veiller
sur la sécurité des individus, parer aux agressions, contrôler les
personnes suspectes de porter des armes blanches… c’est aussi et
surtout une manière de faire dans la prévention, car celui qui porte
aujourd’hui un couteau demain il portera un sabre ; celui qui vend
aujourd’hui du cannabis, demain il touchera à l’héroïne… et comme les
armes blanches et la drogue vont souvent ensemble, il faut agir à la
base. Ce sont d’ailleurs les directives du DGSN lui-même, lequel a
instruit de combattre la criminalité à la racine et de renforcer la
lutte contre le port d’armes blanches, notamment les sabres qui
constituent depuis environ deux ans un phénomène de plus en plus
inquiétant», dira Tarek Keskas. Climat-de-France délivré de Saïd
El-Wahch Saïd El-Wahch (la bête), comme on le surnomme, est le chef
d’une bande de cinq personnes du quartier Climat-de- France. Il
faisait l’objet d’un mandat d’arrêt et a à son actif plusieurs
affaires, entre autres, atteintes aux personnes, aux forces de
l’ordre, ainsi que destruction de biens publics… Lui et le surnommé
Tyson, chef d’une autre bande de Climat-de-France sont constamment en
guerre avec la bande de Mansour Echitane (le diable), du quartier
Beau- Fraisier. Ils se livrent batailles à coups de sabres au niveau
de la place Triolet. Un monopole de vente de la drogue, très prisé
par les uns et les autres. Mansour Echitane et ses 16 acolytes
n’écoulaient pas rapidement leur marchandise à Beau- Fraisier. La
place Triolet est beaucoup plus porteuse et ils ont ainsi tenté de
s’emparer à maintes reprises des lieux par la force. C’est le sabre
qui a finalement tranché après plusieurs batailles rangées en janvier
et mars derniers. Parfois, pour déjouer la vigilance policière, des
émeutes sont provoquées à cet endroit précis, pour faire passer la
drogue, livrer une commande ou la détailler sur les jeunes dealers de
la région. Les pneus brûlés et les routes coupées à la circulation
n’expriment pas toujours le ras-le-bol d’une population exigeant le
relogement et l’amélioration des conditions de vie, mais obéissent
aussi à des calculs macabres pour le passage de la drogue ou autres
objets prohibés. De la manipulation. Pour Saïd El-Wahch et ses
compagnons, la police n’a pas eu recours à la même méthode
d’arrestation du surnommé Jambaz de Belcourt. Ils sont beaucoup plus
dangereux pour les traquer dans leur quartier. Les éléments de la
brigade criminelle de la division centre de la police judiciaire
d’Alger ont attendu le moment propice, un renseignement communiqué
durant le mois de septembre dernier. La bande de Saïd El-Wahch allait
se déplacer dans un fourgon à Tizi-Ouzou pour assister à un match de
foot opposant le Mouloudia d’Alger à la JS Kabylie. Mais ce n’est pas
vraiment leur passion pour le MCA qui est à l’origine de ce
déplacement. C’est plutôt leur soif de vengeance, un règlement de
compte avec le surnommé Hmed Kamikaz, le chef d’une bande de «Djamaâ
Lihoud», rue de la Lyre. Ils allaient l’abattre en terrain neutre, à
Tizi Ouzou. Ils seront finalement arrêtés à l’entrée de l’autoroute
en possession de deux sabres, un fusil à harpon et des couteaux. Un
massacre a été évité, car sous l’effet de psychotropes, ils auraient
facilement pu commettre l’irréparable à Tizi Ouzou. Le surnommé
Tyson, quant à lui, a été arrêté vers le 20 août, et une semaine
après, ce fut le tour de ses trois acolytes, dont les deux frères
dits El-Sori, en référence à leur région d’origine, Sour-El-Ghozlane.
Il s’agit de deux individus extrêmement dangereux. Les éléments de la
brigade criminelle ont trouvé en leur possession quatre sabres, un
fusil à harpon avec ses trois flèches, un javelot à trois flèches,
plus de 100 g de kif et deux chiens, un rottweiler et un berger
allemand. Une semaine avant leur arrestation, ils ont violé le
domicile d’un individu, avec les deux chiens et des sabres, pour une
histoire de drogue. La bande de Mansour Echitane de Beau- Fraisier a
également été démantelée avec son lot de sabres et de poignards à
triple dent. Ce sont ces bandes qui descendaient avec des sabres, la
nuit, à Bab-El-Oued, pendant le mois de Ramadan passé, faire la loi
et s’en prendre à la population. La bande Vicky, les deux Maliens, le
pitbull et l’héroïne Le quartier de Saint-Eugène n’a peut-être jamais
connu de pires moments que ceux du temps de Vicky et sa bande. Elle
comptait en effet cinq Algériens, deux Maliens et… un pitbull. Un
chien d’une rare sauvagerie. Ils campaient quotidiennement sur les
escaliers du marché du quartier où ils semaient la terreur. Hormis
les agressions, ils vendaient de la drogue, le cannabis comme
l’héroïne. Pour un oui ou pour un non, ils lâchaient leur chien et
arboraient leurs sabres. Tout le monde était terrifié, personne
n’osait protester ou parler. Ils régnaient sur leur territoire
portant des sabres qu’ils ont eux-mêmes façonnés. Pour les arrêter,
les éléments de la brigade des stupéfiants de la division centre de
la police judiciaire d’Alger ont dû mettre en place tout un
stratagème. Ils seront d’abord divisés puis neutralisés un par un,
vers la fin du mois d’octobre dernier ; deux sabres et 42 g
d’héroïnes seront récupérés. Les éléments de la même brigade ont
également arrêté, quelques semaines auparavant, trois individus au
boulevard Amirouche, à Alger-Centre, en possession d’un sabre, cinq
couteaux, six cocktails Molotov, 94 g de cannabis et 182 comprimés de
psychotropes. Lors du récent match de foot qui a opposé le CR
Belouizdad à l’USM Alger, quatre personnes à bord d’une Peugeot 206
ont été arrêtées à Ben Aknoun en possession de deux sabres. Durant
les récents affrontements qui ont opposé les habitants de Beni
Messous aux nouveaux relogés en provenance de Djenan-El-Hassan à
Bab-El- Oued, les sabres circulaient comme des baguettes de pain, et
des jeunes en ont eu recours pour défier les forces de l’ordre
intervenues sur les lieux. «Il est vrai que ça devient de plus en
plus inquiétant et nous avons dû mobiliser toutes nos brigades, y
compris les BMPJ pour parer à ce phénomène. Aujourd’hui, celui qui
n’achète pas son sabre, il le fabrique. Avant, les gens avaient
recours à cette arme blanche dans des cas isolés, mais depuis deux
ans c’est presque toute la jeunesse qui en fait usage. C’est devenu
pour certains un jeu d’enfant et c’est justement là que consiste le
danger», regrette Tarek Keskas. El-Harrach, El-Kawassir et le sabre
Au niveau des différents quartiers de la rive gauche de l’embouchure
de l’oued El-Harrach, à savoir La Faïence, P.L.M., La Gare,
Sainte-Corinne, Fouquereau, Dussolier, Djenane Mabrouk, La
Cressonnière, et la route d’Alger, celui qui ne possède pas un sabre
est une personne vulnérable et sans défense. C’est cette arme tant
idolâtrée qui décide de tout dans l’ex-Maison Carrée. Les ferronniers
les livrent comme un boulanger écoule ses petits pains et font depuis
fortune. Dans cette région de l’est d’Alger, il faut dire que
certains ont même atteint le génie dans l’art de fabrication et de la
décoration des sabres en tous genres. «Les ferronniers récupèrent les
lames des véhicules de marque 404 bâchée, pour le façonnage de sabres
à poignée de bois et diversement décorés. Ils les proposent entre 2
500 et 3 000 DA. Quant aux vrais sabres japonais importés, ils
coûtent, prix d’occasion, entre 10 000 et 15 000 DA. «Le mien, je
l’ai acheté à 800 francs, en 1992, à Paris. Je le garde toujours à la
maison et la plupart des anciens d’El-Harrach en possèdent un. Car à
l’époque, on pouvait faire entrer une épée au pays sans le moindre
problème. Très rares sont ceux, aujourd’hui, qui sont prêts à vendre
leurs vrais sabres. Pour en acheter un, il faut vraiment tomber sur
quelqu’un qui traverse une mauvaise passe financière», raconte un
quadragénaire de la rive gauche d’El-Harrach, qui malgré son âge et
son statut de père de famille n’arrive toujours pas à se détacher de
son sabre ! C’est le milieu dans lequel il évolue qui lui dicte sa
démarche. Mais le sabre a peut-être sa propre histoire à El-Harrach.
C’est lié au feuilleton de guerre El-Kawassir. Diffusé il y a
quelques années sur l’ENTV, ce film qui raconte les conquêtes d’une
tribu qui a existé dans un lointain passé a eu une influence
particulière sur la jeunesse d’El-Harrach. Les supporters de l’USM
El-Harrach sont, depuis, baptisés El-Kawassir et pour «mériter et
sauvegarder ce titre», chacun doit posséder un sabre et exceller dans
sa manipulation. Triste réalité que de s’identifier, en ces temps
modernes, à une tribu barbare des âges obscurs ! C’est que les
clichés psychiques de la jeunesse de la capitale algérienne
n’évoluent pas avec la psyché collective mondiale. La jeunesse
algéroise a adopté le sabre dans ses mœurs comme un couple sans
progéniture adopte un enfant et ne s’en détache plus jamais. Sa
prolifération a atteint un seuil alarmant et si des mesures
exceptionnelles ne sont pas immédiatement prises, l’Algérie risque,
un jour, de se faire trancher et de saigner par ce même sabre et sa
jeunesse. M. M.

Source  Le Soir D ‘Algerie          http://www.lesoirdalgerie.com                A suivre

commentaires
  1. Ragheb dit :

    je ne connais pas cette Algérie ou plutôt cet Alger ! Incroyable ! On se croirait dans un film !!!

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